mercredi 10 septembre 2014

Incroyable : le top 10 des types de gamers !!

Derrière ce titre outrageusement racoleur, je voulais affirmer ce qui me semble une criante vérité : 
le jeu vidéo permettant une grande liberté de réalisations et de pratiques, il y a à peu près autant de façons de jouer que de joueurs, et la catégorisation, même excessive, peine à rendre compte de cette diversité.

Aussi après m'être demandé (sans donner de réponse à la question) qui sont les gens qui définissent leur identité à travers les jeux vidéos, je voulais simplement rappeler que nous sommes différents, nous pouvons ne pas être d'accord, et ce n'est pas grave.

Plusieurs interventions que j'ai lues récemment m'ont fait prendre conscience que pour une partie des joueurs, des sujets qui pourraient sembler insignifiants revêtent en fait une grande importance. Et nombre de personnes (qui peuvent par ailleurs être tout à fait censées) semblent ne pas se rendre compte qu'un avis différent du leur puisse exister à propos de leur passion.

Je prends pour exemple cette réponse postée par un internaute sur le site merlanfrit :
Quand même, sur Gamespot, la(ou le ???) critique a donné 9/10 à Gone Home et à GTAV, ça c’est lunatique. Un jeu comme GTAV, un des jeux les plus ambicieux, un jeux que plusieurs achète et ne jouent à rien d’autre pendant des années ! Comparable à un jeu ultra niche qui peut être complété en 2 minutes et n’a aucune rejouabilité ? Gone Home est un 7/10 MAXIMUM, il est trop court et sans mechanique de jeux, l’histoire ne peut pas combler le tout surtout que l’histoire n’a rien de special [...].
(La fin de la citation est tronquée car elle comporte un spoiler sur le jeu, que je veux vous épargner).

Cela me semble incroyable que le simple fait qu'une critique ne représente pas l'avis d'une personne soit suffisant pour provoquer une telle réaction. Car il me semble qu'il n'y ait rien d'étonnant au fait que deux jeux qui n'ont à peu près rien en commun puissent être jugés sur des critères complètement différents. De même qu'il me semble très probable que deux personnes ayant des goûts et des attentes différentes puissent ne pas se retrouver dans les mêmes jeux.

J'irai même plus loin en affirmant que ce qui n'est pas "normal", c'est que les critiques soient si souvent unanimes. Car en dehors de rares cas "polémiques", les principales rédactions me semblaient (du moins jusqu'à il y a peu), s'accorder à peu près d'une même voix sur la qualité de tel ou tel jeu.

Si l'on compare au cinéma par exemple, il me semble acquis que les critiques ont des sensibilités différentes et ne plébiscitent pas les mêmes films (un rapide tour sur allocine devrait suffire à vous convaincre, et il appartient d'ailleurs à chaque spectateur de se faire sa propre opinion quant à savoir s'il préfère aller voir un film apprécié par La Croix ou par Mickey Magazine).

Par ailleurs, j'ai du mal à voir en quoi le fait qu'une personne (dont l'avis n'engage qu'elle-même) ait apprécié quelque chose que l'on n'apprécie pas, est révoltant. Personne n'est obligé d'acheter un jeu si ce dernier ne lui plait pas [1]. La seule chose qui pourrait être condamnable, serait une critique malhonnête, cherchant à tromper le lecteur sur le contenu d'un jeu. Mais à ma connaissance, de telles critiques sont heureusement rarissimes.

Dans un autre genre, une personnalité de la scène internet jeu vidéo a posté ce commentaire à propos du Cyprien Gaming Show :
Faut quand même avouer que réussir a faire payer des gens une fortune pour assister à un show publicitaire est assez génial #lecancerduJV
Non pas que je veuille défendre à tout prix un événement qui ne m'intéressait absolument pas [2], mais cela méritait-il vraiment l’appellation "cancer du jeu vidéo" ? Est-il si inconcevable que des gens qui jouent, qui aiment jouer, puisse trouver intéressant d'aller voir un tel spectacle ? Après tout, si cela leur plait...

Je ne cite qu'un exemple récent qui m'avait marqué, mais ce genre de remarques est assez courant dès qu'il est question d'une façon "non traditionnelle" de jouer aux jeux vidéo. Qu'il s'agisse de casual gaming, de jeu dont le but premier n'est pas le divertissement, d'expérimentations vidéoludiques, etc.

Est-il si choquant que le jeu vidéo et ses pratiques ne soient pas monolithiques ?
Faut-il nécessairement affirmer sans cesse que seule la façon dont on apprécie les jeux est la bonne ?

Pour moi la réponse est clairement non, et il me semble que les différentes façons de jouer, d'apprécier les jeux, de se revendiquer "gamer", ne sont pas en opposition, et pourraient très bien coexister au prix d'un tout petit peu plus de tolérance.

Mais je vous entends déjà vous demander : "On ne peut plus rien critiquer alors ?!"

Eh bien si ! J'irai même jusqu'à  dire que la critique, si elle est constructive, est un élément important pour faire progresser toutes les communauté de jeux vidéos [3]. Car il ne s'agit pas de remplacer une pensée dominante par une autre. Mais cela suppose que cette critique soit argumentée et ne cherche pas uniquement à détruire un autre modèle que celui que l'on supporte, à cause de sa seule altérité.

Une règle qui me semble raisonnable pour déterminer la recevabilité d'une critique est la suivante :
- on peut émettre un avis personnel sur quelque chose que l'on n'aime pas, mais que personne ne nous oblige à faire.
Ex : Je n'aime pas Gone Home, parce qu'il n'est rien en dehors de sa dimension narrative. Si vous n'aimez pas qu'on vous raconte une histoire, ni les jeux sans défi, passez votre chemin.
- on peut critiquer une pratique qui impose quelque chose à tous.
Ex : Les DRM sont le cancer du jeu vidéo ! Qui a un jour eu l'idée géniale de limiter l'accès à un jeu alors que celui-ci a été acheté légalement par l'utilisateur ?!

Mais rien, ne nous autorise à juger en terme de valeur, les pratiques des autres joueurs qui, il ne faut pas l'oublier, partagent leur passion avec nous.

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[1] Pour ma part, je n'ai pas joué à GTA V, malgré les critiques élogieuse, car ce n'est simplement pas un type de jeu qui me plait. (Et puisqu'on en est aux confessions, notez que je n'ai pas acheté Gone Home non plus d'ailleurs).

[2] Et qui d'ailleurs n'est clairement pas à l'abri de tout reproche, ne serait-ce que pour la diffusion d'images de jeux classés PEGI 18 à des spectateurs dont l'âge pouvait être plus proche de la dizaine que de la vingtaine.

[3] Surtout l'heure où des jeux comme Destiny arrivent à se vendre à près d'un demi-million d'exemplaire [4], sans qu'aucune critique n'ait été publiée. Ce qui est à peu près aussi scandaleux que sa nomination "meilleur jeu de la Gamescom 2013", alors qu'aucun joueur n'avait vu plus que quelques vidéos.

[4] Rajout : On me souffle dans l'oreillette qu'en fait c'est plutôt 6 à 7 millions de jeux qui auraient été vendus !

mercredi 3 septembre 2014

Mais qui se définit par les jeux vidéo ?

Ça fait presque un an que je n'ai rien écrit sur ce blog, pourtant les visites sont toujours assez régulières, preuve que seuls mes articles sur la borne d'arcade Raspberry Pi attirent des gens, et que personne ne lit le reste (non non, ne niez pas, j'ai accès aux statistiques). Du coup, je me permets d'écrire ce que je veux, puis que personne ne le lit !

L'envie d'écrire cet article me vient d'une série d'événements récents, qui m'ont amené à me poser cette question : qui sont les gens qui se sentent blessés lorsque le jeu vidéo (ou ce qui s'y rapproche) est critiqué, et surtout, pourquoi cela les touche-t-il aussi fortement ?

Il y a d'abord eu ce que certains appellent un peu pompeusement le GamerGate, et qu'on pourrait résumer de la sorte : une développeuse de jeux vidéo a été accusée - dans un post de blog - par son ex-petit ami de l'avoir trompée, en particulier avec un collègue et un journaliste d'un site d'information spécialisé dans le jeu vidéo. À partir de là, certains en ont déduit qu'elle avait couché pour réussir, et s'en est suivi un déferlement de critiques très virulentes envers  la développeuse, toute personne qui prenait publiquement sa défense, ainsi que la presse spécialisée, accusée de collusion et de manque d'indépendance vis-à-vis de l'industrie.

Ainsi, ce qui n'aurait dû rester qu'un règlement de comptes entre anciens conjoints, c'est soudainement transformé en croisade violente pour un prétendu assainissement des pratiques éthiques de la presse vidéo-ludique, au détriment de toute considération pour la développeuse qui a reçu de très nombreuses menaces et même vu des informations personnelles volées être diffusées sur internet.

Mon but ici n'est pas de donner un compte-rendu détaillé de ce triste épisode (pour ceux que cela intéresse d'en savoir plus, voici un lien du Monde.fr), ni même de rappeler que ces comportements sont gravement anormaux (en plus d'être illégaux pour certains), que la vendetta n'est pas la justice, et que personne, quoi qu'il lui soit reproché, ne mérite un tel acharnement sur internet.
En revanche, il me semble intéressant de tenter d'analyser certaines des réactions qu'ont suscité cette affaire, pour essayer de répondre à cette question que pose Martin Lefebvre, sur Merlanfrit : comment a-t-on pu en arriver là ?

Car en effet, s'il semble raisonnable de penser (d'espérer ?) que les acteurs directs du harcèlement ne représentent pas la majorité des amateurs de jeux vidéo, nombreux sont ceux qui prennent la parole pour exprimer leur mécontentement ou leur incompréhension face aux critiques de ces comportements.

Je prends pour exemple deux articles :

- l'un sur Gamasutra, qui critique, parfois avec des termes très forts, la "culture du jeu vidéo" (en tant qu'élément communautaire), pour relever son inadéquation avec ce qu'est déjà devenu le medium :
‘Games culture’ is a petri dish of people who know so little about how human social interaction and professional life works that they can concoct online ‘wars’ about social justice or ‘game journalism ethics,’ straight-faced, and cause genuine human consequences. Because of video games.
 "La "culture des jeux [vidéo]" est une soupe de gens qui savent si peu comment fonctionnent les interactions sociales et la vie professionnelle qu'ils peuvent sérieusement fomenter une "guerre" sur internet à propos de la justice sociale ou de "l'éthique de la presse vidéoludique", avec des conséquences humaines réelles. À cause des jeux vidéos." [1]
These obtuse shitslingers, these wailing hyper-consumers, these childish internet-arguers -- they are not my audience. They don’t have to be yours. There is no ‘side’ to be on, there is no ‘debate’ to be had.  There is what’s past and there is what’s now. There is the role you choose to play in what’s ahead.
"Ces lance-merde obtus, ces consommateurs frénétiques gémissants, ces polémistes-internet puérils -- ce n'est pas le public auquel je m'adresse. Vous n'avez pas à vous adresser à eux. Il n'y a pas de "camp" dans lequel être, ni de "débat" à avoir. Il n'y a que ce qui est passé, et ce qu'il y a maintenant. Il y a le rôle que vous choisissez de jouer pour le futur." [1]

- l'autre sur Badass Digest, où l'auteur exprime sa difficulté à se sentir "gamer" lorsqu'il voit les agissements de certains qui se revendiquent comme tels, et appelle la communauté à réagir et à ne pas laisser certains donner une si mauvaise image de leur passion.
But it’s hard to self-identify as “a gamer” when there’s also a large swathe of that community apparently committed to presenting us all as a bunch of hateful sociopaths. 
"Mais c'est difficile de s'identifier comme "un gamer", quand il y a aussi un grand pan de cette communauté qui a apparemment décidé de nous faire passer pour une bande de sociopathes haineux." [1]
It is the responsibility of every gamer to behave better. Many of us do behave nicely, but because negativity sticks in the mind so painfully, it will take a massive sea change in attitude to make the gaming environment better.
"Cela relève de la responsabilité de tous les joueurs de se comporter mieux. Beaucoup d'entre nous se comportent correctement, mais parce que les côtés négatifs s'ancrent si douloureusement dans l'esprit, il faudra un changement massif dans l'attitude pour améliorer la communauté de jeu." [1]

Or, au lieu de voir des gens dénoncer les comportements déviants de la communauté à laquelle ils appartiennent, j'ai vu, que ce soit sur Twitter, ou dans les commentaires des dits articles, de nombreuses personnes s'offusquer que "les gamers soient encore stigmatisés", que "les journalistes crachent sur ceux qui les lisent", que "la presse discrimine ceux qui ne se conforment pas à la pensée dominante". Comme si les critiques à l'encontre de dérives dans le jeu vidéo étaient plus graves que les dérives elle-mêmes.

Et cela m'a fait penser à un autre événement, francophone cette fois-ci, qui a eu lieu il y a quelques jours à peine, et que j’appellerai le GrandJournalGate, parce que moi aussi je suis pompeux quand j'ai envie.

Il y a quelques jours, passait dans le Grand Journal de Canal Plus une chronique de 2 minutes (montre en main) sur le rachat de Twitch par Amazon.

Dans cette chronique, une journaliste présente sur le ton de la moquerie le site de streaming Twitch, en prenant pour unique exemple des vidéos de PewDiePie, un "youtuber" dont la plupart des vidéos consiste à se filmer en jouant à un jeu de façon légère avec des réactions souvent exagérées (ce qui me fait dire que l'équivalent française serait plus ou moins Squeezie [2]). La chronique n'est visiblement pas à but informatif et ne reflète pas du tout la diversité de ce que l'on peut trouver sur Twitch, et les condamnations des communautés françaises de jeux vidéo et de streaming ont été nombreuses (je vous remets un article du Monde.fr pour ceux que ça intéresse).

Or là où les deux affaires se rejoignent, c'est qu'une fois encore, on a pu observer des débordements de la part d'internautes outragés que "leur" media, "leur" passion, soit ainsi trainés dans la boue par une journaliste inculte et au sourire carnassier. Et cette fois encore, de nombreuses insultes et appels au boycott de Canal Plus ont fleuri sur les réseaux sociaux. À tel point que certains représentants "officiels" de la communauté ont dû faire des rappels à l'ordre...

Comment se fait-il qu'une simple chronique de 2 minutes puisse à ce point déchaîner la colère des joueurs et des joueuses ? Faut-ils qu'ils se sentent à se point insulter quand on touche à ce qu'ils aiment ? Ou bien qu'ils aient à ce point l'impression que leur média n'est pas considéré à sa juste valeur ?  Qu'il est attaqué de tous côtés par des critiques injustifiées ? Que personne ne les comprend ?

Peut-être un peu de tout ça ?

Ce qui nous ramène ma question initiale : mais qui donc se définit par les jeux vidéos ?
Pour qui cette passion est-elle une identité si forte qu'elle justifie qu'on lui sacrifie le bon sens et la retenue ? 
Je pense que cette question n'est pas simple. Et une réponse toute faite aurait sans doute du mal à traduire la multiplicité des profils de gens qui se définissent comme "joueurs" ou "joueuses". Tout au plus puis-je dire que :
- D'une part, il est vrai que les jeux sont encore souvent mal compris et mal perçus par une grande partie des gens et que la presse généraliste se fait parfois l'écho des craintes ou des incompréhensions que suscite ce media récent.
- D'autre part, il est concevable que le jeu vidéo, par sa puissance d'évocation et l'investissement émotionnel qu'il requiert, puisse être une passion par laquelle les gens se définissent, comme certains se définissent par leur amour pour une célébrité ou un club sportif.
Je considère moi-même et depuis longtemps que les jeux vidéos occupent une place importante dans ma vie.

Mais aimer quelque chose ne devrait pas empêcher de porter un regard critique dessus. Et il n'est pas honteux de reconnaître que ce que l'on aime, ou ce que "l'on est" n'est pas parfait.
Balayer d'un revers de main les critiques de sexisme en prétendant qu'il s'agit encore de salir l'image des jeux vidéos, c'est oublier que ces critiques viennent de l'intérieur de la communauté, de gens qui aiment le jeu vidéo autant que ceux qui prétendent le protéger.
Réagir violemment à une chronique satirique c'est propager l'image d'une communauté agressive et irrationnelle  (sans compter que ce sont souvent les mêmes qui vont soutenir "leur" droit à l'humour si l'on pointe du doigt le côté discriminant de celui-ci).
Se sentir agressé ou insulté lorsque quelqu'un dénonce les comportements intolérables de certains, c'est passer à côté d'un message dont le but est de faire progresser toute la communauté.

L'image du jeu vidéo ne mérite pas qu'on lui sacrifie l'existence de polémiques nécessaire à son évolution.
En un mot, si le jeu vidéo est encore "discriminé", il ne tient qu'à nous, membres de sa communauté protéiforme, de tout faire pour l'améliorer, pour le rendre plus accueillant pour toutes et pour tous, plutôt que de se lamenter sur les attaques injustes qu'un soi-disant ennemi extérieur tenterait de nous porter [3].

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[1] : Ces traductions, sans doute approximatives, n'engagent que moi (ce qui explique aussi que je ne vous mette que des extraits des articles, parce que c'est long de tout traduire).

[2] : Mais entre nous, je dis surtout ça pour amener les fans de PewDiePie et de Squeezie à se battre dans la section commentaires de cet article (que personne ne lira, souvenez-vous de l'intro).

[3] : Et quand bien même cet ennemi existerait, il serait alors facile de lui donner tort, tant ses critiques seraient éloignées de la réalité.